A propos de l’oeuvre et de ses interprètes

L’Opéra de Chambre de Genève continue d’explorer le monde de l’opera buffa du XVIIIe siècle dans la splendide Cour de l’Hôtel-de-Ville, qui offre l’atmosphère et les dimensions exactes pour que l’on puisse apprécier le jeu des acteurs et le tissu musical léger qui le soutient. Après avoir goûté à Mozart presque encore enfant avec la Finta semplice, le public fera la connaissance d’un autre jeune homme déjà génial : Luigi Cherubini, né à Florence en 1760, avait vingt-trois ans lorsqu’il composa Lo sposo di tre e marito di nessuna en 1783 pour le Théâtre San Samuele de Venise, sur un livret de Filippo Livigni, librement adapté de La commedia del caffè de Carlo Goldoni. Le jeune compositeur avait déjà pris congé du monde de l’opera buffa italien dans lequel il était né (son père était maestro al cembalo dans un théâtre florentin) pour se rendre tout d’abord en Angleterre et deux ans plus tard à Paris, où il s’installe définitivement. Il y devient le compositeur « français » principal de la période révolutionnaire et de la restauration.

Lo sposo di tre e marito di nessuna est une comédie de quiproquos et une satire sociale. Le personnage principal, Don Pistacchio, est baron, c’est-à-dire un petit noble de village, riche et stupide, qui attend la fiancée qui lui est destinée mais qu’il ne connaît pas encore. Le fourbe Don Martino se présente comme envoyé de la fiancée, Donna Rosa, mais il présente à Pistacchio le portrait de sa propre sœur, Donna Lisetta. Le baron en tombe immédiatement amoureux. Mais voilà qu’arrive la véritable fiancée, qui commence par rencontrer Don Simone, l’oncle de Pistacchio, plus vieux que son neveu mais non moins stupide. Don Simone va chercher à convaincre Pistacchio d’épouser celle qu’il pense être la vraie fiancée, à raison d’ailleurs. Cependant, la présence au village de deux saltimbanques farceurs, Folletto et Bettina, prompts à prendre parti pour l’un ou pour l’autre, va beaucoup compliquer les choses. Autour du pauvre Pistacchio se dérouleront un hilarant faux débat d’avocats et une fausse prophétie de la Sibylle, satire de l’opera seria et de la stérile culture littéraire fondée sur les mythes gréco-romains, et une curieuse voix venue du ciel annoncera que Don Pistacchio ne doit pas se marier. A la fin, les jeunes gens se marieront tout de même, y compris Don Simone qui se trouvera une compagne. Seul Pistacchio, après avoir tenté dans le plus grand désordre d’épouser toutes les femmes qui passent à sa portée, restera seul.

L’intérêt de cette comédie est assuré par la succession de malentendus et de coups de théâtre. La musique est celle d’un jeune compositeur à la technique sûre, qui veut montrer ce qu’il vaut. On entrevoit déjà le Cherubini qui, quelques années plus tard, sera considéré par des générations de musiciens comme le plus « savant » d’eux tous. Mais la technique du jeune homme n’enlève rien à son esprit : le jeune Cherubini joue avec la matière sonore avec l’habileté d’un prestidigitateur. L’orchestration est extrêmement soignée et l’écriture très complexe par rapport à la musique italienne de la même époque. Ce qui ajoute un peu de pep aux gags, qui sont en général musicalement exquis et créent un jeu de perspectives où l’on passe en douceur du réalisme à l’absurde, du vraisemblable à la plaisanterie la plus raffinée.

Quelques-uns des interprètes sont bien connus du public de l’Opéra de Chambre : le buffo Alexandre Diakoff sera Don Simone et le ténor Valery Tsarev Don Martino. Rosa Elvira Sierra et Katia Bentz auront respectivement les rôles de Donna Lisetta et de Donna Rosa, rôles très importants du point de vue théâtral mais aussi par des arie de grande virtuosité. Sous les traits de Don Pistacchio, nous trouverons Leonardo Nibbi, un jeune italien spécialiste des rôles buffi. Folletto et Bettina seront incarnés par Martin Weidmann et Lisa Wingard. Nouveau également à l’Opéra de Chambre, le metteur en scène Pier Paolo Pacini, qui travaille aussi bien pour le théâtre que pour l’opéra, spécialiste du théâtre moderne mais qui a relevé le défi que pose la petite scène de l’Hôtel-de-Ville et les incertitudes du climat. L’Orchestre de Chambre de Genève sera dirigé comme de coutume par Franco Trinca.

Riccardo Mascia (trad.)